I. La législation française
En France, la compétence extraterritoriale est réglementée par deux dispositions du Code de procédure pénale.
D’une part, l’article 689 prévoit un mécanisme général : « les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre Ier du code pénal ou d’un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction ».
D’autre part, l’article 689-1 limite cette compétence aux infractions prévues par certaines conventions internationales (énumérées aux articles 689-2 à 689-9) : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. (…) ».
Ainsi, la compétence universelle telle que définie par cette législation peut être mise en œuvre uniquement si l’inculpé se trouve sur le territoire français et uniquement pour les crimes de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de terrorisme, les infractions relatives à la protection physique des matières nucléaires, celles relatives à la sécurité de la navigation maritime et de l’aviation civile, celles relatives à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et à la lutte contre la corruption des fonctionnaires européens.
Ne font donc pas partie des infractions pouvant permettre l’application de la compétence universelle, le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
La France a cependant reconnu la compétence universelle des tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour connaître de ces crimes. Les lois du 2 janvier 1995 et du 22 mai 1996 introduisent cette compétence dans trois hypothèses : si ces crimes ont été commis depuis 1991 en ex-Yougoslavie, en 1994 au Rwanda ou par des Rwandais dans des Etats voisins.
Le 9 juin 2000, la France a donné compétence à la Cour pénale internationale en ratifiant le Traité du 18 juillet 1998 portant Statut de la Cour. Cette compétence pour juger les crimes contre l’humanité, le génocide, les crimes de guerre et le crime d’agression, est néanmoins complémentaire. Le Code pénal français n’incriminant pas les crimes de guerre et le crime d’agression, la Cour pourrait exiger que des ressortissants français accusés de tels crimes comparaissent devant elle.
Le 15 mai 2007, un projet de loi, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, a été déposé au Sénat par le ministre de la Justice. Il prévoit l’insertion, dans le Code pénal, de l’incrimination des crimes de guerre. Ce projet a été adopté par le Sénat le 10 juin 2008 avec quelques amendements substantiels. En effet, le Sénat a inséré un article 7bis dans le projet de loi qui prévoit l’introduction d’un article 689-11 dans le Code de procédure pénale français. Cet article rend possible la poursuite et le jugement par les juridictions françaises de toute personne qui s’est rendue coupable de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale si quatre conditions sont remplies. Premièrement, il faut que la personne « réside habituellement » sur le territoire de la République. Ensuite, il faut que le principe de double incrimination soit respecté. De plus, la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. Finalement, aucune juridiction nationale ou internationale ne peut demander la remise ou l’extradition de la personne.
Le texte adopté par le Sénat a été transmis à l’Assemblée nationale, le 11 juin 2008, et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république. La commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis et a rendu celui-ci le 8 juillet 2009. La Rapporteure, Mme Nicole Ameline, recommande dans cet avis de remplacer le critère de « résidence habituelle » par le critère de présence du suspect sur le territoire de la République et de supprimer la condition de double incrimination ainsi que le monopole de poursuites accordé au ministère public. Le texte adopté par la commission des lois, le 19 mai 2010, ne reprend pas les propositions faites par la commission des affaires étrangères mais reprend les conditions prévues dans le texte adopté par le Sénat en 2008.
Le 10 août 2010, la loi n°2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale est publiée.
- Projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale adopté le 10 juin 2008 par le Sénat
- Avis fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale rendu le 8 juillet 2009
- Rapport n° 2517 de M. Thierry MARIANI fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 mai 2010
- Texte de la commission n° 2517 déposé le 19 mai 2010
Cette loi comporte néanmoins un certain nombre de conditions restreignant la portée de la compétence universelle, ce qui a mené un sénateur à déposer une proposition de loi visant à modifier l’article 689-11 du Code de procédure pénale afin d’en rendre l’exercice plus souple en supprimant celles-ci. Il proposait d’harmoniser les différents régimes en n’exigeant plus que la seule présence du suspect sur le territoire français pour l’ensemble des crimes internationaux visés aux articles 689-2 à 689-11 du CPP. Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat à l’unanimité le 26 février 2013, avec cependant un amendement décidant de conserver le monopole des poursuites par le Parquet.
Toutefois, ce texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et reste donc en suspens.
II. Développements judiciaires
1. Affaire Javor et autres
Le 20 juillet 1993, Elvir Javor, Kasim Kusuran, Munib Softic, Senada Softic et Meho Mujdzic, cinq ressortissants bosniaques victimes des exactions commises en ex-Yougoslavie, déposent plainte avec constitution de partie civile en France pour tortures, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
Le 6 mai 1994, le Tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance de recevabilité des actions civiles et d’incompétence partielle. En effet, le Tribunal se déclare incompétent pour instruire la plainte en ce qu’elle concerne le crime de génocide et les crimes contre l’humanité, au motif que la législation française ne prévoit pas de compétence universelle pour ces infractions. Par ailleurs, le Tribunal se déclare compétent pour instruire les crimes de tortures et autres traitements inhumains et dégradants sur les fondements de la Convention de New York de 1984 et de l’article 689-2 du Code de procédure pénale, ainsi que pour les crimes de guerre sur le fondement des Conventions de Genève, qui imposent expressément aux Etats parties d’engager les poursuites et de les juger.
La Chambre des accusations de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 novembre 1994, infirme la décision du 6 mai 1994. Après avoir confirmé l’incompétence du Tribunal pour instruire les crimes contre l’humanité et le génocide, la Chambre déclare l’incompétence du Tribunal pour instruire les crimes de tortures au motif que la présence de l’accusé sur le territoire est obligatoire et pour instruire les crimes de guerre, les dispositions des Conventions de Genève n’étant pas directement applicables en droit interne.
Le 26 mars 1996, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les parties civiles et confirme le raisonnement de la Chambre des accusations. Elle y ajoute simplement un autre fondement : la loi du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française à l’institution du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, adoptée après la décision de la Chambre et applicable aux procédures en cours. Selon cette loi, les juridictions françaises ne peuvent instruire une affaire que si l’accusé est présent sur le territoire.
2. Affaire Wenceslas Munyeshyaka
Le 25 juillet 1995, une information a été ouverte par les autorités françaises contre Wenceslas Munyeshyaka, prêtre rwandais résidant en France, pour génocide, crimes contre l’humanité et participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de ces crimes perpétrés lors du génocide de 1994 au Rwanda. Quinze personnes se sont constituées parties civiles.
Les juridictions françaises ont été saisies sur le fondement de la compétence universelle, les crimes ayant été commis à l’étranger par des étrangers contre des étrangers.
Dans une ordonnance du 9 janvier 1996, le juge d’instruction s’est déclaré compétent pour instruire les crimes de tortures et les traitements inhumains ou dégradants mais s’est déclaré incompétent pour les autres crimes. La Cour d’appel de Nîmes, le 20 mars 1996, a confirmé l’incompétence des juridictions françaises pour instruire les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité, la législation française ne prévoyant pas la compétence universelle pour ces infractions. Cet arrêt a ensuite été cassé par la Cour de cassation, le 6 janvier 1998. La Haute juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir qualifié les faits de génocide et de ne pas avoir retenu la qualification pénale de torture, l’article 689-2 du Code de procédure pénale prévoyant la compétence universelle des juridictions françaises pour cette infraction. La Cour de cassation ne statuant qu’en droit, a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris pour que l’affaire soit jugée en fait et en droit.
Le 23 juin 1999, la Cour d’appel de Paris a opéré un revirement de jurisprudence et a déclaré les juridictions françaises compétentes pour juger le crime de génocide et les crimes contre l’humanité, en se fondant sur la loi du 22 mai 1996 attribuant compétence universelle au juge français pour connaître des crimes les plus graves commis pendant le génocide rwandais. Cette loi, adoptée après l’ouverture de l’action publique, était applicable aux procédures en cours.
Le juge d’instruction chargé de l’affaire a ensuite émis deux commissions rogatoires internationales afin d’entendre des témoins. En 2004, lorsqu’il procède à une confrontation entre Wenceslas Munyeshyaka et les parties civiles, ces commissions rogatoires n’ont toujours pas été exécutées. La lenteur de cette procédure a conduit à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, le 8 juin 2004.
Le 16 novembre 2006, Wenceslas Munyeshyaka, jugé par contumace par la Cour militaire de Kigali, est condamné à la prison à vie.
3. Affaire Laurent Bucyibaruta
Le 30 mai 2000, Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro (Rwanda), résidant en France est mis en examen par les autorités françaises à la suite d’une plainte déposée, le 5 janvier 2000, par la Fédération internationale des droits de l’Homme et par la Ligue des droits de l’Homme l’accusant d’avoir participé au génocide de 1994.
Laurent Bucyibaruta est incarcéré du 6 juin au 20 décembre 2000, date à laquelle il est placé sous contrôle judiciaire.
4. Jonction des affaires Munyeshyaka et Bucyibaruta
Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la Cour de cassation décide, le 26 septembre 2001, de regrouper les différentes affaires pendantes devant plusieurs juridictions françaises et relatives à des actes commis pendant le génocide rwandais de 1994. Sera désormais compétente la juridiction d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris.
Le 20 juin 2007, le TPIR a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Wenceslas Munyeshyaka et le 21 juin 2017, à l’encontre de Laurent Bucyibaruta.
Le 20 juillet 2007, les deux accusés sont interpellés par les autorités françaises. Dans un arrêt du 1er août 2007, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a refusé d’exécuter le mandat d’arrêt du TPIR, jugeant les actes d’accusation de la juridiction internationale insuffisamment précis. Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta sont libérés mais placés sous contrôle judiciaire.
Le 5 septembre 2007, Munyeshyaka est de nouveau arrêté sur la base d’un deuxième mandat d’arrêt du TPIR émis le 13 août 2007, mais il est à nouveau remis en liberté sous contrôle judiciaire par la Cour d’appel de Paris, le 19 septembre 2007.
Le 20 novembre 2007, en application de sa politique d’achèvement des travaux, le TPIR renvoie les affaires Munyeshyaka et Bucyibaruta devant les juridictions françaises.
Le 20 février 2008, les juridictions françaises acceptent de poursuivre les deux accusés. Les affaires Munyeshyaka et Bicyibaruta sont restées pendantes durant plusieurs années malgré la susmentionnée condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour dépassement du délai raisonnable, le 8 juin 2004.
La procédure a finalement repris à la faveur du transfert du dossier au pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes et délits de guerre mis en place en janvier 2012 au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris. Le vendredi 2 octobre 2015, une ordonnance de non-lieu a été rendue, conforme aux réquisitions du parquet du 19 août 2015. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme et le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda ont fait appel de cette décision.
5. Autres affaires pendantes relatives au génocide rwandais
D’autres poursuites encore ont été engagées contre des ressortissants rwandais devant les juridictions françaises sur base de la compétence universelle. Ainsi, Sosthène Munyemana, ancien médecin à l’hôpital de Butare (Rwanda), a été mis en examen par le parquet de Paris, en avril 2007, avant de voir son statut de réfugié refusé, le 24 janvier 2008. Le 20 janvier 2010, Sosthène Munyemana a été arrêté et mis en examen par le Parquet de Bordeaux sur base d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités rwandaises et relayé par Interpol. Le 19 octobre 2010, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’extradition de Kigali en raison de son imprécision. Le 15 décembre 2011, Sosthène Munyemana a été mis en examen à Paris pour génocide et crime contre l’humanité et placé sous contrôle judiciaire.
Laurent Serubuga, ancien chef d’Etat major des Forces armées rwandaises, a été mis en examen par le parquet de Strasbourg. L’affaire a été classée sans suite pour défaut de preuve. Un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre par le parquet de Kigali en mai 2013, l’accusant de génocide et de crimes contre l’humanité. Il a été arrêté par les autorités françaises mais la Cour d’appel de Douai a finalement rejeté la demande d’extradition et ordonné sa remise en liberté, le 12 septembre 2013.
L’affaire Fabien Neretse (appelé aussi Fabien Nsabimana) a également été classée sans suite pour défaut de preuve.
Agathe Kanziga Habyarimana, veuve de l’ancien président rwandais, fait l’objet d’une information judiciaire depuis novembre 2007 pour complicité de génocide et de crime contre l’humanité, ouverte à la suite d’une plainte déposée à son encontre en février 2007 par le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Elle s’est réfugiée en France après l’attentat du 6 avril 1994 contre son mari mais s’est vu refuser l’asile le 4 janvier 2007 par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). La Commission des recours des réfugiés (CRR) a confirmé ce refus le 15 février 2007, de même que le Conseil d’Etat, le 16 octobre 2009. Elle a été arrêtée, le 2 mars 2010, dans l’Essonne, sur base d’un mandat d’arrêt international émis en octobre 2009 par les autorités rwandaises, qui l’accusent d’être impliquée dans la planification du génocide rwandais. Elle a été libérée peu après et placée sous contrôle judiciaire par le parquet général de Paris. La Cour d’appel de Paris a refusé son extradition vers le Rwanda le 28 septembre 2011. L’instruction est actuellement toujours en cours.
Eugène Rwamucyo, ancien médecin à Butare, fait l’objet d’une information judiciaire, ouverte le 5 février 2008. Le 15 septembre 2010, la Cour d’appel de Versailles a ordonné la mise en liberté d’Eugène Rwamucyo.
Claver Kamana, homme d’affaires, a fait l’objet d’une demande d’extradition du Rwanda qui l’a condamné par contumace. Interpellé le 26 février 2008 sur la base du mandat d’arrêt international émis à son encontre par le parquet de Kigali, il a finalement été remis en liberté le 29 juillet 2008. La Cour de cassation a en effet annulé, le 9 juillet 2008, la décision d’extradition de la Cour d’appel de Chambéry du 2 avril 2008. Le 10 janvier 2009, la demande d’extradition a été rejetée en dernière instance par la Cour d’appel de Lyon.
Isaac Kamali, ancien agent du ministère de la Jeunesse, et Marcel Bivugabagabo, ancien responsable militaire au Rwanda, sont en attente de comparution devant les juridictions françaises. Malgré les nombreuses informations qu’il possède, le Parquet n’a pas encore engagé de poursuites contre les deux présumés génocidaires, Isaac Kamali et Marcel Bivugabagabo, pour lesquels les autorités judiciaires françaises ont refusé l’extradition au Rwanda, en 2008, estimant qu’ils n’y bénéficieraient pas de garanties judiciaires suffisantes.
6. Affaire Ely Ould Dah
A la suite d’une plainte déposée par la Fédération internationale des droits de l’Homme et de la Ligue des droits de l’Homme, Ely Ould Dah, lieutenant de l’armée mauritanienne, a été interpellé, le 1er juillet 1999, en France alors qu’il effectuait un stage à l’Ecole du commissariat de l’armée de terre de Montpellier. Il a ensuite été mis en examen pour tortures ou actes de barbarie et complicité de ces crimes commis en 1990 et 1991 lors d’affrontements ethniques survenus en Mauritanie. En se fondant sur la compétence universelle en matière de torture, conformément à l’article 689-2 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction chargé de l’affaire a ordonné, le 25 mai 2001, le renvoi du lieutenant mauritanien devant la Cour d’assises pour qu’il soit jugé par contumace. Ely Ould Dah était présent sur le territoire français (condition nécessaire à la mise en œuvre de la compétence universelle) lors de l’ouverture de l’action publique mais est retourné en Mauritanie en avril 2000. Depuis le 7 avril 2000, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes, le 8 juillet 2002, puis la Cour de cassation, le 23 octobre 2002, ont confirmé le renvoi du lieutenant devant la Cour d’assise du Gard.
Le 1er juillet 2005, la Cour d’assises du Gard a condamné, par contumace, Ely Ould Dah à une peine de dix ans de réclusion, peine maximale prévue par le Code pénal français pour punir les actes de torture. Le prévenu a alors introduit un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) afin que celle-ci détermine « les conditions dans lesquelles un Etat peut s’autoriser à juger une personne et des faits qui lui sont totalement étrangers ». Il invoquait la violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (principe de légalité des peines) dès lors qu’il avait été poursuivi et condamné en France pour des faits commis en Mauritanie en 1990 et 1991, alors qu’il ne pouvait prévoir que la loi mauritanienne serait écartée au profit de la loi française qui n’érigeait pas la torture en infraction autonome à l’époque des faits. De plus, il soutenait que les dispositions du nouveau Code pénal lui ont été appliquées rétroactivement.
Dans son arrêt du 17 mars 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, après avoir constaté que les deux conditions d’exercice de la compétence universelle prévue dans la loi française étaient réunies, que « les Hautes Parties contractantes [sont libres] de décider de leur politique criminelle, sur laquelle elle n’a pas en principe à se prononcer » et que « le choix par un Etat de tel ou tel système pénal échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention ». La Cour affirme ensuite qu’« au moment où elles ont été commises, les actions du requérant constituaient des infractions définies avec suffisamment d’accessibilité et de prévisibilité d’après le droit français et le droit international, et que le requérant pouvait raisonnablement, au besoin à l’aide d’un avis juridique éclairé, prévoir le risque d’être poursuivi et condamné pour les actes de torture qu’il a commis entre 1990 et 1991 » et déclare la requête irrecevable. La CEDH a ainsi affirmé la légitimité de l’application du principe de compétence universelle par les juridictions françaises.
7. Affaire Khaled Ben Saïd
Le 11 octobre 1996, Madame Z., de nationalité tunisienne, a été interpellée par des agents de la police secrète tunisienne et retenue pendant deux jours au commissariat de Jendouba où elle a subi des actes de torture et d’humiliation. Ces actes étaient destinés à informer le régime tunisien sur plusieurs individus dont son époux. Pendant le mois d’avril 2001, Madame Z. a appris que son tortionnaire, Khaled Ben Said, était en poste sur le territoire français comme vice-consul au consulat de Tunisie à Strasbourg. Le 9 mai, elle a déposé une plainte au parquet de Paris qui s’est dessaisi, en juin, au profit de celui de Strasbourg. Le 4 février 2002, la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) et la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) se sont constituées parties civiles aux côtés de Madame Z. La plainte déposée par Madame Z. visait tous les responsables de la chaîne de commandement incluant le Général Zine Abidine Ben Ali, alors président de la République tunisienne. Alors qu’une information avait été ouverte, le 16 janvier 2002, contre Khaled Ben Saïd, celui-ci a quitté précipitamment la France afin de se mettre à l’abri de poursuites éventuelles. Cette fuite a conduit le juge strasbourgeois à délivrer, le 15 février 2002, un mandat d’arrêt international contre M. Ben Saïd et à adresser, le 2 juillet 2003, une commission rogatoire internationale aux autorités judiciaires tunisiennes. Cette demande n’a jamais été suivie d’effet.
Malgré ces obstacles et après sept années d’enquête, l’ordonnance de mise en accusation devant la Cour d’assises a finalement été rendue, le 16 février 2007.
Le 15 décembre 2008, Khaled Ben Saïd a été condamné à huit ans de prison par la Cour d’assises du Bas-Rhin. La compétence de la Cour d’assises du Bas Rhin est fondée sur l’article 689-2 du Code de procédure pénale. Cet article prévoit la possibilité pour les juridictions françaises de juger toute personne accusée de torture au sens de l’article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. A cette occasion, la Cour a dû trancher à cette occasion deux questions problématiques. D’une part, M. Ben Saïd était vice-consul au moment du dépôt de la plainte ce qui pouvait donner lieu à une immunité consulaire. Cependant, le personnel consulaire ne bénéficie de l’immunité qu’en ce qui concerne les actes accomplis pendant l’exercice de leurs fonctions. Les actes reprochés à l’accusé n’étaient donc pas couverts. D’autre part, l’article 689-2 du Code de procédure pénale renvoie au premier paragraphe de cette même disposition qui prévoit que les juridictions françaises peuvent fonder leur compétence sur le principe de compétence universelle si la personne est présente sur le territoire français. Or, suite au dépôt de la plainte par la victime, l’accusé avait fui la France et le mandat d’arrêt international émis n’avait pas été exécuté par les autorités tunisiennes. La Cour d’assises a néanmoins considéré que l’article 689-1 n’imposait la présence de l’accusé en France qu’au moment du dépôt de la plainte. Le jugement a donc été prononcé par contumace.
Le 7 janvier 2009, le parquet de Colmar a fait appel du jugement de la Cour du Bas-Rhin, sur demande de la Chancellerie, qui estimait les preuves insuffisantes et remettait en question la qualification d’actes de torture.
Cette décision a suscité de vives protestations de la part des ONG qui étaient intervenues dans la procédure (Affaire Ben Saïd : Deux questions à Patrick Baudouin, Président d’honneur de la FIDH).
Le 24 septembre 2010, la Cour d’assises de Meurthe et Moselle a condamné, en appel, Khaled Ben Saïd à 12 années de réclusion criminelle pour avoir ordonné des actes de torture à l’encontre de Madame Z., les 11 et 12 octobre 1996, dans le commissariat de Jendouba.
Le 27 janvier 2011, Alain Juppé – alors ministre français des affaires étrangères – s’était engagé à prendre contact avec les autorités tunisiennes afin que Khaled Ben Saïd puisse y purger sa peine. En effet, depuis la « Révolution de jasmin », la Tunisie semble mettre un point d’honneur à répondre et à prendre en charge elle-même les crimes commis sous la dictature de Ben Ali.
8. Affaire Rumsfeld
Saisissant l’occasion du séjour à Paris de l’ancien Secrétaire américain à la Défense, Donald H. Rumsfeld, la Fédération internationale des droits de l’homme a déposé, le 25 octobre 2007, une plainte auprès du Procureur du Tribunal de Grande Instance de Paris. Trois autres organisations non gouvernementales se sont associées à cette démarche (CCR, LDH, ECCHR). Ces organisations reprochaient à M. Rumsfeld de s’être rendu coupable de crimes de torture, en ce qu’il a directement et personnellement élaboré et ordonné le recours à des méthodes d’interrogatoire dites « musclées », constitutives d’actes de torture.
Le 16 novembre 2007, le Procureur de la République, sans contester les allégations de torture, a classé sans suite la procédure contre M. Donald Rumsfeld alléguant que celui-ci bénéficiait de l’immunité. Il a affirmé que « l’immunité de juridiction pénale des chefs d’Etat, de gouvernement et des ministres des affaires étrangères subsistait, après la cessation de leurs fonctions, pour les actes accomplis à titre officiel » et que Monsieur Rumsfeld, « en tant qu’ancien secrétaire à la défense (…) devrait bénéficier, par extension de la même immunité, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ».
Le 27 février 2008, saisi d’un recours contre cette décision, le Procureur général près la Cour d’appel de Paris a également invoqué cette immunité de juridiction pénale pour confirmer la décision de classement sans suite. Cette interprétation est reprise également par la ministre française de la Justice, dans sa réponse adressée à la FIDH et à la LDH en date du 23 juin 2008.
- Lettre ouverte de la FIDH à M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires Etrangères
- Lettre de la FIDH à Mme Rachida Dati, ministre de la Justice
9. Affaire des « Disparus du Beach »
En décembre 1998, la République du Congo (Brazzaville) était frappée par une violente guerre civile. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été contraintes de fuir Brazzaville et de passer en République démocratique du Congo (RDC). Le 10 avril 1999, un accord tripartite fut signé entre la RDC, la République du Congo et le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) en vue d’organiser le rapatriement des réfugiés par bateau. Des centaines de réfugiés ont accepté de rentrer à Brazzaville par son port fluvial, baptisé le « Beach ».
A la sortie des bateaux, les réfugiés ont été divisés en deux colonnes. Les femmes, les enfants et les personnes âgées d’un côté et les hommes de l’autre. Alors que les premiers ont simplement été fouillés, les hommes ont été soumis à un véritable examen corporel pour détecter des indices susceptibles de démontrer leur appartenance aux milices rebelles Ninja. Les témoignages des rescapés et d’autres informations permettent de conclure que les autorités congolaises ont agi selon un plan bien organisé et dans le seul but de liquider des personnes originaires de la région du Pool.
En décembre 2001, la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) ont déposé une plainte auprès du Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Paris contre le Président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso et d’autres personnalités congolaises, notamment l’inspecteur général des armées, M. Norbert Dabira, alors présent sur le territoire français. La plainte se fondait sur la compétence universelle des juridictions françaises pour les actes de torture et les crimes contre l’humanité en relation avec les disparitions à grande échelle de ressortissants congolais, entre le 5 et le 15 mai 1999, au port fluvial de Brazzaville.
Le 1er février 2002, une information judiciaire a été ouverte et deux juges d’instruction ont été désignés au Tribunal de Grande Instance de Meaux. Le 16 mars 2002, M. Dabira fut localisé sur le territoire français. Le 23 mai 2002, il fut arrêté à son domicile, interrogé et ensuite libéré. Le 19 juin 2002, convoqué en tant que témoin assisté, le général Dabira, invoquant son incapacité à se déplacer suite aux récents événements survenus au Congo Brazzaville, n’a pas pu être entendu par la justice française. L’audition a été reportée au 8 juillet 2002. Ce jour-là, auditionné pendant quatre heures par les juges d’instruction, le général Dabira ressort de cette audition en qualité de témoin assisté. Les juges demandent à l’entendre à nouveau en septembre.
Cependant, suite à l’ouverture d’une enquête en France, les autorités congolaises ont décidé, en juin 2002, de relancer la procédure judicaire au niveau national. Ce procès a été qualifié par des observateurs de « mascarade » et comme n’établissant, ni la vérité, ni la responsabilité pénale individuelle des auteurs des crimes poursuivis. En effet, les juridictions congolaises se sont contentées de condamner l’Etat à payer des indemnités aux familles des victimes et ont acquitté l’ensemble des personnes poursuivies.
En septembre 2002, les autorités congolaises refusent l’audition du général Dabira et expriment leur indignation vis-à-vis de l’exercice de la compétence universelle par les juridictions françaises et leur souhait de porter l’affaire devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour conflit de compétence entre la France et la République du Congo. Le 9 décembre 2002, la République du Congo a déposé au greffe de la CIJ une requête introductive d’instance contre la France visant à faire annuler les actes d’instruction et de poursuite effectués par les juridictions françaises dans l’affaire des « Disparus du Beach ». La République du Congo soutient, en premier lieu, que la France aurait «[violé le] principe selon lequel un Etat ne peut, au mépris du principe de l’égalité souveraine entre tous les membres de l’Organisation des Nations Unies, proclamé par l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre Etat, en s’attribuant unilatéralement une compétence universelle en matière pénale et en s’arrogeant le pouvoir de faire poursuivre et juger le ministre de l’intérieur d’un Etat étranger à raison de prétendues infractions qu’il aurait commises à l’occasion de l’exercice de ses attributions relatives au maintien de l’ordre public dans son pays » et, en second lieu, que la France aurait « [violé] l’immunité pénale d’un chef d’Etat étranger ».
La requête du Congo était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires « tendant à faire ordonner la suspension immédiate de la procédure suivie par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Meaux ». Selon les autorités congolaises, « l’information en cause trouble les relations internationales de la République du Congo par la publicité que reçoivent (…) les actes accomplis par le magistrat instructeur, lesquels portent atteinte à l’honneur et à [la] considération du Chef de l’Etat, du ministre de l’intérieur et de l’inspecteur général de l’Armée et, par là, au crédit international du Congo. De plus, elle altère les relations traditionnelles d’amitié franco-congolaise. Si cette procédure devait se poursuivre, le dommage deviendrait irréparable ».
La CIJ ne voyant, dans les circonstances de l’espèce, aucune nécessité d’indiquer des mesures conservatoires indépendamment des demandes présentées par les parties, a rejeté la demande du Congo, par son ordonnance du 17 juin 2003 (Communiqué de presse de la Cour internationale de Justice (CIJ/619)). L’affaire est toujours pendante devant la CIJ qui a, dans une ordonnance du 23 novembre 2009, fixé au 16 février 2010 et au 17 mai 2010, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’une pièce écrite additionnelle par la République du Congo et par la France. Le 16 novembre 2010, l’affaire a été rayée du rôle de la Cour internationale de justice.
Le 22 novembre 2004, la première chambre de la Cour d’appel de Paris a annulé l’intégralité de la procédure devant les juridictions françaises. Dans un arrêt du 10 janvier 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation française a décidé de casser et d’annuler la décision du 22 novembre 2004. La Cour a renvoyé l’affaire devant la juridiction de Versailles. La Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt le 20 juin 2007. D’un côté, la juridiction a reconnu la légalité du réquisitoire introductif permettant ainsi à l’information judiciaire de continuer. De l’autre, elle a annulé les actes liés à l’arrestation, l’audition et la mise en examen de M. Ndengue, directeur de la police congolaise, pour crimes de torture constitutifs de crimes contre l’humanité en retenant un moyen tiré de son immunité diplomatique. La FIDH, la LDH, l’OCDH et les victimes soutenues par ces organisations ont alors formé un pourvoi en cassation sur la question de l’immunité de M. Ndengue et l’annulation du procès verbal d’audition en garde à vue le concernant. Les avocats des MM. Ndengue et Dabira ont également présenté un pourvoi en cassation sur la question de la présence de M. Dabira sur le territoire français au moment du réquisitoire introductif et la validité de ce dernier. La Cour de cassation française, dans un arrêt du 9 avril 2008, a rejeté le pourvoi formé par les avocats de la défense des personnes poursuivies. De plus, elle n’a pas pris en compte le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée invoqué par les défendeurs, faisant valoir que les personnes visées par la procédure en France, ont déjà été jugées et acquittées à l’issue d’un procès tenu à Brazzaville, en 2005. La Cour a cependant confirmé l’annulation des actes concernant le directeur de la police nationale congolaise à l’occasion de sa venue en France, mais elle a retenu des motifs purement formels de vices de procédure sans pour autant admettre l’immunité alléguée de M. Ndengue.
Le 30 mars 2012, l’affaire est transférée au pôle spécialisé pour les crimes internationaux du Tribunal de Grande Instance de Paris. Le 22 août 2013, il est brièvement interpellé à Torcy, inculpé pour crimes contre l’humanité et ensuite placé sous contrôle judiciaire, s’engageant par écrit à répondre à toute convocation de la justice. Le 9 octobre 2014, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a confirmé sa mise en examen, rejetant ainsi la demande de la défense tendant à faire annuler la procédure. Le 5 décembre 2014, il s’est déplacé de Brazzaville pour se rendre de son plein gré à la convocation du juge d’instruction à Paris. Le 3 juin 2016, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a dû se prononcer sur un nouveau recours de la défense tendant à faire annuler, cette fois, l’interrogatoire du 5 décembre 2014. Ces manœuvres ont été qualifiées de dilatoires par les parties civiles, la défense ayant systématiquement demandé l’annulation de tous les actes de procédure.
L’instruction est actuellement toujours en cours.
10. Affaire Callixte Mbarushimana
Callixte Mbarushimana a été incarcéré en France, le 11 octobre 2010, en vertu d’un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, le 28 septembre 2010, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis, en 2009, pendant le conflit dans la région des Kivus en République démocratique du Congo, en sa qualité de dirigeant du FDLR (Front démocratique de libération du Rwanda).
Dans l’attente de sa remise à la Cour pénale internationale, le 25 janvier 2011, il a été mis en examen, le 20 décembre 2010, en réponse à une demande formulée par la FIDH, partie civile, pour sa participation présumée au génocide perpétré au Rwanda en 1994.
Cependant, le 16 décembre 2011, la Cour pénale internationale a refusé de confirmer les poursuites à son encontre et a, par conséquent, annulé le mandat d’arrêt émis contre Mbarushimana. Un appel a, toutefois, été interjeté contre cette décision par le Procureur de la Cour pénale internationale. Le 30 mai 2012, la Chambre d’appel a décidé, à l’unanimité, de rejeter ce recours.
11. Affaire Pascal Simbikangwa
Il s’agit du premier procès en France concernant un citoyen rwandais présumé impliqué dans le génocide de 1994 au Rwanda. Pascal Simbikangwa était ancien membre de la garde présidentielle et chef du Service Central des Renseignements (SCR) au Rwanda. Il est soupçonné d’avoir fourni des armes et autres matériels à des officiers Hutu ou des milices, d’être responsable de barrages routiers dans la capitale Kigali, et d’avoir ordonné et encouragé des miliciens à participer activement aux crimes. Le 28 octobre 2008, il a été arrêté par la police française à Mayotte sous une fausse identité pour trafic de faux papiers ; sa véritable identité a été découverte durant sa détention. Le 13 février 2009, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda a introduit une plainte à son encontre à Mayotte. Le 1er mars 2013, le Bureau du Procureur du pôle spécialisé dans la poursuite des crimes et délits de guerre et des crimes contre l’humanité au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris a demandé sa mise en accusation pour participation et complicité à un génocide et participation et complicité à des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre avril et juillet 1994. Il a été inculpé le 29 mars 2013.
Le procès de Pascal Simbikangwa s’est ouvert le 4 février 2014 devant la Cour d’Assises de Paris. La Cour a entendu vingt témoins experts ainsi que les témoignages de cinquante-trois autres témoins, dont certains avaient fait le déplacement depuis le Rwanda. Le Procureur demandait une peine à perpétuité. Néanmoins, le 14 mars 2014, la Cour l’a condamné à 25 ans de réclusion criminelle pour participation au génocide et complicité de crime contre l’humanité. Le 18 mars 2014, Simbikangwa a interjeté appel de cette décision. Les audiences d’appel se sont déroulées du 25 octobre au 3 décembre 2016 devant la Cour d’Assises de Bobigny, qui a confirmé la condamnation de première instance. La défense s’est pourvu en cassation.
12. Affaire Octavien Ngenzi et Tito Barahira
Il s’agit du second procès en France de Rwandais soupçonnés d’être impliqués dans le génocide de 1994. Le 13 mai 2014, le pôle spécialisé dans la poursuite des crimes et délits de guerres, et crimes contre l’humanité au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris a demandé la poursuite de ces deux anciens maires devant la Cour d’Assises de Paris pour des crimes présumés commis au Rwanda en avril 1994. Ils sont notamment soupçonnés d’avoir participé, le 13 avril 1994, au massacre de centaines de Tutsis qui avaient trouvé refuge dans une église de Kabarondo.
Le 2 juin 2010, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda avait déposé une plainte à l’encontre de Octavien Ngenzi au Bureau du Procureur du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou à Mayotte. Le lendemain, il a été arrêté et placé en détention à Mayotte. En octobre 2010, Tito Barahira a été inculpé par la NPPA (the National Public Prosecution Authority) au Rwanda pour participation au génocide et incitation à commettre un génocide. Il a été arrêté le 3 avril 2013 à Toulouse à la suite d’un mandat d’arrêt émis par le Rwanda. Il n’a cependant pas été remis au Rwanda par les autorités françaises qui ont préféré ne pas l’extrader et joindre cette affaire à celle de Octavien Ngenzi, le 5 décembre 2012.
Le 30 mai 2014, le juge d’instruction a renvoyé ces deux affaires jointes devant la Cour d’Assises de Paris. Les deux accusés ont fait appel de cette décision de renvoi mais la Cour de Cassation a rejeté cet appel le 27 janvier 2015. Le 6 juillet 2016, la Cour d’Assises de Paris, suivant en cela les réquisitions de son avocat général, les a condamnés à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité et génocide. Leurs avocats ont déclaré qu’ils faisaient appel de cette décision.
13. Affaire Abdellatif Hammouchi
Abdellatif Hammouchi est l’actuel directeur général de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale marocaine) et directeur de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire marocain). Il fait actuellement l’objet d’une enquête pénale pour des crimes de torture présumés commis en 2008 et 2010 au Maroc. Trois plaintes ont en effet été déposées à son encontre.
La première a été introduite le 21 mai 2013 par Adil Lamtalsi et l’ACAT (Associations des Chrétiens pour l’abolition de la torture) au parquet du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce franco-marocain assure avoir subi des actes de torture en 2008 par les services de renseignement marocains. Arrêté le 30 septembre 2008 à Tanger, puis amené dans un centre de détention secret à Temara, il affirme être passé aux aveux sous l’effet de la torture. Sur la base de ceux-ci, il a été condamné à 10 ans de prison pour trafic de drogue mais n’a jamais cessé de clamer son innocence. En mai 2013, il a été transféré en France et a alors déposé une plainte à l’encontre d’Abdellatif Hammouchi en se constituant partie civile.
Une seconde plainte a été déposée le 20 février 2014 par Naâma Asfari et l’ACAT devant le juge d’instruction en charge du dossier au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce défenseur des droits de l’homme sahraoui a été arrêté le 7 novembre 2010 à Laayoune, dans la région du Sahara occidental sous occupation marocaine, et condamné le 16 février 2013 à 30 ans de prison par un tribunal militaire, en dépit de sa qualité de civil. Il affirme lui aussi avoir été condamné sur la base d’aveux obtenus sous la contrainte des actes de torture commis par les services de renseignement marocains.
Ce 20 février 2014, Abdellatif Hammouchi s’est rendu à l’ambassade du Maroc à Paris. Informée de sa présence sur le sol français, l’ACAT a déposé une plainte supplémentaire pour complicité de torture, au nom de Naâma Asfari, devant le pôle spécialisé dans la poursuite des crimes contre l’humanité et des crimes et délits de guerre au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris. Celle-ci a cependant été rejetée quelques semaines plus tard.
Le lendemain (21 février 2014), une nouvelle plainte a été déposée auprès du Procureur du pôle spécialisé au nom de Zakaria Moumni pour crime de torture. Celui-ci assure avoir reconnu formellement Abdellatif Hammouchi comme ayant participé à l’une des séances de tortures qu’il a subies au centre de Temara. La CIA a d’ailleurs confirmé l’existence de ce centre de torture dans un rapport de la commission des renseignements du Sénat rendu public en 2014.
Une convocation a été transmise par la police nationale à la résidence de l’ambassadeur du Maroc, la justice française cherchant à auditionner Abdellatif Hammouchi. A la suite de celle-ci, l’ambassadeur de France à Rabat a été convoqué et le Maroc a suspendu toute coopération judiciaire pénale avec la France durant plusieurs jours. En conséquence, l’assemblée nationale française s’est résolue à adopter la loi du 24 juillet 2015, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Maroc et la France, lequel contraint désormais les magistrats français à renvoyer à la justice marocaine les plaintes déposées en France par des ressortissants marocains portant sur des actes commis au Maroc par des ressortissants marocains.
La plainte de Zakaria Moumni a donc été transférée à la justice marocaine le 27 mars 2015 et a finalement été classée sans suite par le Procureur général du Roi près la Cour d’appel de Rabat en avril 2016, considérant que de nombreuses contradictions dans sa version des faits remettaient en cause sa crédibilité. Le 19 juillet 2016, le parquet de Paris a également classé cette affaire sans suite en raison de l’absence de preuve de la présence d’Abdellatif Hammouchi sur le sol français.
14. Affaire Relizane (Frères Mohamed)
A partir de décembre 1991, une violente guerre civile a éclaté en Algérie, opposant le gouvernement algérien – et l’Armée nationale populaire – à divers groupes islamistes. Durant celle-ci, de nombreux actes de torture, exécutions sommaires, viols, enlèvements et disparitions forcées ont été commis. Entre 1993 et 1994, les autorités algériennes ont commencé à créer et armer des milices populaires appelées « milices d’autodéfense » pour aider les forces de sécurité à combattre les opposants islamistes. Ces milices, également appelées « patriotes », ont commis de nombreuses exactions sur les civils, au nom de la lutte anti-terroriste. L’une de celles-ci, la « milice d’autodéfense de Relizane », dirigée notamment par les frères Mohamed, est accusée d’être responsable de plus de 100 exécutions sommaires et 208 cas de disparitions forcées, présumés commis dans la région de Relizane entre 1994 et 1998.
Le 10 octobre 2003, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et la Ligue des Droits de l’Homme, accompagnant sept victimes algériennes se constituant parties civiles, ont déposé une plainte pour torture et crimes contre l’humanité auprès du Procureur du Tribunal de Grande Instance de Nîmes à l’encontre de ces deux dirigeants de la milice de Relizane, Abdelkader Mohamed, franco-algérien, et Hocine Mohamed, algérien, résidant tous deux en France. Le 11 décembre 2003, une enquête a été ouverte. Le 29 mars 2004, les frères Mohamed ont été arrêtés, inculpés et placés en détention. Le lendemain, ils furent libérés et placés sous contrôle judiciaire. Le 18 juin 2004, le juge d’instruction en charge du dossier a adressé une commission rogatoire internationale aux autorités algériennes afin qu’elles enquêtent sur ces crimes. Celles-ci ont néanmoins refusé de collaborer, le 19 juillet 2005. Malgré ce refus, l’enquête s’est poursuivie en France entre 2006 et 2013, avec des confrontations directes entre les accusés et les victimes. En juillet 2013, le Bureau du Procureur du Tribunal de Grande Instance de Nîmes a requis leur mise en accusation. Le 26 décembre 2014, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de mise en accusation les renvoyant devant la Cour d’Assises de Nîmes pour torture et disparitions forcées. Les deux frères ont fait appel de cette décision de renvoi. Le 29 juillet 2015, le Procureur général a demandé à la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes d’ordonner un complément d’instruction. Le 19 janvier 2016, celle-ci a cependant décidé d’abroger l’ordonnance de renvoi des frères Mohamed devant la Cour d’Assises de Nîmes en rendant une ordonnance de non-lieu. Les parties civiles ont introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
15. Affaire Amesys
Amesys est une société française de sécurité informatique. En 2007, celle-ci a signé un contrat de vente de son produit phare, le système EAGLE, avec la police secrète du gouvernement libyen. Cette technologie de surveillance, conçue pour intercepter des communications, traiter et analyser des données de connexion Internet, a permis au régime de Kadhafi de réprimer l’opposition et ce en commettant de graves violations des droits de l’homme. Le 19 octobre 2011, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et la Ligue des Droits de l’Homme ont déposé une plainte auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris contre la société Amesys et ses gérants, pour complicité d’actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants. Le 26 mars 2012, le parquet de Paris a rendu un réquisitoire aux fins de non informer, considérant que les faits dénoncés ne pouvaient recevoir de qualification pénale et arguant de l’insuffisance de preuves. Cependant, le 23 mai 2012, le juge d’instruction du pôle spécialisé dans la poursuite des crimes et délits de guerre et crimes contre l’humanité au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu une ordonnance décidant d’ouvrir une information judiciaire. Le 15 janvier 2013, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, saisie d’un appel du Parquet, a autorisé l’ouverture de l’instruction en confirmant qu’il y avait bien matière à instruire dans cette affaire. Le 10 janvier 2013, cinq victimes libyennes se sont constituées parties civiles. Elles affirment toutes avoir été arrêtées et torturées par le régime de Kadhafi lors de la révolution, après avoir été identifiées via leurs communications électroniques. Elles ont été entendues en juin et juillet 2013 par le pôle spécialisé. Une autre victime libyenne s’est jointe à la cause et a été entendue le 11 décembre 2015. L’enquête est actuellement toujours en cours.
16. Affaire Qosmos
Il s’agit d’une autre société française spécialisée dans les logiciels d’analyse du trafic internet qui, avec d’autres entreprises françaises ainsi que leurs gérants, fait également l’objet d’une enquête de la justice française pour avoir fourni ces logiciels cette fois au régime de Bachar el-Assad en Syrie. En effet, le 22 juillet 2012, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et la Ligue des Droits de l’Homme ont déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur du Tribunal de Grande Instance de Paris demandant l’ouverture d’une enquête et l’engagement de poursuites à l’égard de ces sociétés françaises (dont la société Qosmos) pour complicité aux actes notoires de torture commis par le régime de Bachar el-Assad à partir de 2011 du fait de lui avoir vendu du matériel de surveillance électronique. Le 1er avril 2014, une enquête judiciaire a été ouverte et transmise aux juges d’instruction du pôle spécialisé dans les crimes et délits de guerre et crimes contre l’humanité. En avril 2015, le statut de témoin assisté a été donné à la société Qosmos, du chef de complité de crimes de torture commis par le régime syrien. En juillet 2015, cinq victimes syriennes ont été anonymement entendues en tant que témoins, assurant avoir été identifiées par le biais de leurs communications électroniques, puis arrêtées et torturées par le régime de Bachar. L’enquête est actuellement toujours en cours.
17. Affaire Ung Boun Hor – Khmers rouges
Le 17 avril 1975, alors que les Khmers rouges prennent le pouvoir au Cambodge, Mr Ung Boun Hor, à l’époque président de l’assemblée nationale cambodgienne, parvient à se réfugier avec d’autres dignitaires du régime déchu dans l’ambassade de France à Phnom Penh. Le 20 avril, il en ressort et, tombant aux mains des Khmers rouges qui menaçaient de pénétrer dans l’ambassade pour venir le chercher, meurt. Un doute subsiste toujours actuellement sur la question de savoir s’il s’est rendu de son plein gré aux opposants ou s’il a été « remis de force » par les gendarmes français.
Le 3 novembre 1999, sa veuve, Billon Ung Boun Hor, qui a réussi à s’enfuir et s’est réfugiée en France avec ses enfants, a déposé une plainte contre X devant le Tribunal de Grande Instance de Créteil pour les faits commis par les Khmers rouges en se basant sur la compétence universelle. Elle estime par ailleurs que la responsabilité de la France doit être engagée, pour complicité aux actes de torture commis par les Khmers rouges sur son mari.
En avril 2000, une information judiciaire est ouverte pour « séquestration » et « actes de torture ». Néanmoins, le 3 janvier 2007, le juge d’instruction s’est déclaré incompétent, en l’absence de preuves quant à la présence des auteurs présumés sur le territoire français, décision confirmée par la Cour d’appel de Paris le 24 octobre 2007. La Cour de cassation a alors cassé et annulé, le 21 janvier 2009, l’ordonnance d’incompétence et a renvoyé la cause devant la Cour d’appel de Paris. Par un arrêt du 26 janvier 2010, la cinquième chambre de l’instruction a dès lors ordonné la relance de l’enquête. En 2012, le pôle crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre du Tribunal de Grande Instance de Paris a repris l’enquête.
Cependant, un non-lieu a finalement été prononcé le 27 janvier 2015 pour absence de preuves suffisantes fondant les allégations d’actes de torture par les Khmers rouges, rendant par conséquent impossible la poursuite de l’éventuelle complicité de la France à ces actes de torture, et ce malgré l’ampleur des recherches effectuées et la durée de l’instruction.
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